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Ween Will rock You
2 novembre 2007

Les Cafards font la Fête

cafardsLa Cucaracha est le disque des cafards : ceux qui trônent sur la pochette et qui, tout le long du disque, font une fête d’enfer avec les restes de la pop music. Le titre est un jeu de mots si subtil qu’il en devient invisible : il faut lire COCKROACHA, fête aux cafards – comme dans la chanson géniale de Tazartès, « Transports 01 » : « Ce n’est pas une petite affaire / De mettre au monde plein d’petits cafards / Qui feront leurs petites affaires / Et saliront tous les placards / Ce n’est pas une petite affaire / De mettre au monde de petits cafards / Qui clopinant vers la lumière / Sentiront la tristesse du noir… »

Le premier morceau, ridicule, « Fiesta », les annonce en fanfare (vous les voyez avancer sur le thème principal, joyeux, arrogants, décidés), mais, tout le long du disque, ils se servent. Sur « Object », par exemple. Ween a rarement été plus clair : « You’re just a piece of meat / And I am the butcher » (« Tu n’es qu’un morceau de viande / Et je suis le boucher »). Les cafards prennent même la peine de préciser : « They Found Your Sweater » : « Ils ont trouvé ton sweater ». Un sweater plein de petits morceaux de viande, sans nul doute. Et les « Friends » sont également une communauté d’insectes, semblables aux « amis » virtuels des pages myspace. C’est l’amitié considérée comme un simple coparasitage consenti de nos avatars, ou la socialité réduite à un continu grignotage mutuel : « A friend’s a friend who knows what being a friend is, talking with a friend / As friends we were always so close but so far away... / Friends in life are special / Do you want me as your special friend ? / Cause you're the friend that I’ve been searching for. » (« Un ami est un ami qui sait ce qu’est un ami, quand il parle à un ami / En tant qu’amis nous étions toujours si proches mais si éloignés… / Les amis dans la vie sont particuliers / Me veux-tu comme ami particulier ? / Parce que tu es l’ami que je recherche. ») Un copain est quelqu’un avec qui on partage le pain, mais un ami est la personne dont on vide le frigo sans mauvaise conscience.

Il y avait bien une tique sur leur premier album (tique qui aurait ravi, sans nul doute, Deleuze, fasciné par l’éthologie et les études de Jakob Von Uexküll sur les mondes animaux), mais c’est le cafard qui doit être considéré comme l’animal-totem de Gene et Dean Ween. Car ça n’arrête pas de manger, ce qui n’est pas si fréquent dans le monde de la pop music. On pense à la limite au « Savoy Truffle » des Beatles, et, si vous voulez, aux « Apples and Oranges » de Pink Floyd comme aux « Oranges and Lemons » de XTC, mais pas à beaucoup plus… Les Ween ont, à eux seuls, composés plus d’airs concernant la nourriture que tous les autres artistes pop réunis. Sur The Pod déjà : « Frank », « Pork Roll Egg and Cheese », et surtout « Pollo Asado », presque écoeurant tant la commande de bouffe au Tex-Mex est longue. Il faut également citer « Roses are Free », et la lasagne qu’il faut manger jusqu’au bout, « Candi » (encore une liste d’aliments), et sur leur dernier album, « The Fruit Man » bien sûr. Enfin, trois albums ont des titres purement culinaires, ce qui est déjà beaucoup : Pure Guava, Chocolate and Cheese et White Pepper. La goyave, le chocolat, le fromage et le poivre.


Et que dire de leur vision de la sexualité, qui ne va jamais sans de grandes promesses culinaires ? « Voodoo Lady » est une chanson extrêmement claire à ce sujet : « Your Lips are Hot and Spicy / Servin’up Red Beans and Rice » (« Tes Lèvres sont Chaudes et Epicées / Tu sers des Haricots Rouges et du Riz »). L’idéal féminin des Ween, c’est une serveuse lubrique.
L’embarrassant et attachant clip de « « Push The Little Daisies » met fin aux derniers questionnements : les Ween aiment manger plus que le sexe, plus que l’amour, plus que leur mère, plus que les fleurs, plus qu’une jolie fille un peu gothique, plus que Dieu et même plus que l’argent.

Mais si la nourriture est si omniprésente dans le corpus weenien, c’est également parce qu’elle résume assez bien leur relation à la musique elle-même. Les Ween sont des bouffeurs de pop : ils mangent tout ce qui traîne. Thin Lizzy, Black Sabbath, Prince, Queen, The Butthole Surfers, Santana, Cher ou Jethro Tull, aucune importance : la pop est un gros cochon dans lequel tout est bon. C’est comme une fête à laquelle ils n’ont pas été invités, mais peu importe, ils resquillent à l’entrée et s’en mettent plein la panse. C’est aussi pour cela qu’ils n’ont jamais vraiment eu le succès qu’ils méritaient : ça se voyait trop sur leurs visages qu’ils avaient tout mangé en cachette, aux dépens de tout le monde.

Le disque s’achève sur « Your Party », qui ne lésine pas sur les détails croustillants : « There were beverages laid out for the party. / There were candy and spices and tri-colored pastas. / The meat carved was drawn from succulent juices / served on platters of the purest gold. » (« Il y avait des boissons pour la fête / Il y avait des bonbons et des épices et des pates aux trois couleurs / Les tranches de viande étaient serties de sauces succulentes / Servies sur des plateaux en or massif »). Mais la chanson remercie également les hôtes de leur accueil. La pop music a fourni suffisamment de thèmes, de styles, de clichés ou de lyrisme pour que Ween puisse se servir. « La Cockroacha » n’est donc pas simplement un aveu : c’est également un disque de remerciements à tous les disques passés, présents et à venir – sans eux, Ween n’existerait pas.

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Commentaires
C
J'ai écrit le précédent commentaire trop vite. Déjà, un accent aigu en trop à exégèse, ce n'est pas joli. Surtout, rendons à César (ou plutôt à Pacôme) ce qui lui appartient. Car si ce blog a été créé par Philippe Dumez, les entrées ne sont pas toutes de lui. Ceci dit, je reconnais mieux là (comme dans les développements sur Spinoza) la subtile herméneutique de M. Thiellement (toujours un peu mystérieuse pour moi, mais c'est aussi ce qui en fait la beauté) que la limpidité de la prose dumezienne.
C
Aaargh! Et dire que je prenais tout bêtement le titre pour la traduction de "cafard" en espagnol. Décidément, Ween, c'est bien, mais soumis à l'éxégèse de M. Dumez, ça prend carrément une autre dimension. Merci encore
Ween Will rock You
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